Cette question, qui ne casse pas trois pattes à un canard, est peut-être la plus fondamentale dans l’atelier de philosophie. Sans elle, on risque de croire qu’on fait dialoguer les participants sans que ce soit réellement le cas.
Question banale mais d’une redoutable efficacité : grâce à elle les masquent tombent !
Celui qui a parlé doit accepter qu’il n’a pas été clair comme il le pensait ou comme il voulait le croire. Celui qui a écouté doit reconnaître qu’il n’a pas compris.
Pourquoi de façon générale dans une discussion ne vérifie-t-on pas plus souvent que les propos échangés sont bel et bien compris par les interlocuteurs ?
Est-ce parce que l’on considère qu’il est facile de se faire comprendre et de comprendre l’autre ?
Parce que l’on n’ose pas se confronter à notre manque de clarté ? Confronter l’autre à son manque de clarté ?
Est-ce parce qu’il est gênant d’admettre qu’on ne comprend pas ?
Ou est-ce parce qu’au fond, on se moque d’être compris et de comprendre l’autre ?
On peut rassembler ces questions en une seule : préfère-t-on un dialogue confortable ou authentique avec les autres ?
Récemment, je faisais un atelier dans une classe de troisième pour les faire réfléchir sur un spectacle qu’ils avaient vu. Un élève a évoqué “la farce du capitalisme”. Une jeune fille a chuchoté à sa voisine “ C’est quoi le capitalisme ?”
J’ai alors demandé à l’élève s’il pouvait définir ce terme mais il n’en avait aucune idée. Je demande au reste du groupe, mais personne ne semble en mesure de le faire. Je leur propose donc de demander un coup de pouce à leur professeur. Ce dernier énonce une définition un peu complexe, en y ajoutant quelques commentaires subjectifs.
Je demande ensuite au groupe : “ Qui a compris la définition de votre professeur ? Levez la main.” Deux mains se lèvent. Des rires retentissent. “Qui n’a pas compris la définition de votre professeur ? Levez-la main.” La majorité des élèves lève la main.
Ils semblent un peu étonnés par mes questions. Leur professeur aussi. Personne ne semblait s’attendre à ce que j’applique au discours de ce dernier le même traitement qu’à celui des élèves.
Pourquoi rient-ils ? Sans doute parce que ma question les contraint à prendre position de façon visible, et qu’ils ne peuvent plus se cacher face à leur professeur, derrière un simple hochement de tête, comme cela arrive habituellement quand on se contente de leur demander “Ca va, vous avez compris ?” et qu’on passe à autre chose.
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